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Under the Pink

 

 

 

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O cet effrayant torrent tout au fond



O et la mer la mer écarlate quelquefois comme du feu



Et les glorieux couchers de soleil



Et les figuiers dans les jardins de l'Alameda



Et toutes les ruelles bizarres



Et les maisons roses et bleues et jaunes



Et les roseraies et les jasmins et les géraniums



Et les cactus de Gibraltar quand j'étais jeune fille



Et une Fleur de la montagne oui



Quand j'ai mis la rose dans mes cheveux comme les filles Andalouses


Ou en mettrai-je une rouge oui



Et comme il m'a embrassée sous le mur mauresque



Je me suis dit après tout aussi bien lui qu'un autre



Et alors je lui ai demandé avec les yeux de demander encore oui



Et alors il m'a demandé si je voulais oui



Dire oui ma fleur de la montagne



Et d'abord je lui ai mis mes bras autour de lui oui



Et je l'ai attiré sur moi pour qu'il sente mes seins tout parfumés oui



Et son coeur battait comme un fou



Et oui j'ai dit oui



Je veux bien Oui.

Je vis la mer populeuse, l'aube et le soir,
les foules d'Amérique, une toile d'araignée argentée au centre d'une noire pyramide
un labyrinthe brisé (c'était Londres)

je vis des yeux tout proches, interminables,
qui s'observaient en moi comme dans un miroir

je vis tous les miroirs de la planète
et aucun ne me refléta

je vis dans une arrière-cour de la rue Soler
les mêmes dalles que j'avais vues
il y avait trente ans dans les vestibules
d'une maison à Fray Bentos

je vis des grappes, de la neige, du tabac,
des filons de métal, de la vapeur d'eau

je vis de convexes déserts équatoriaux
et chacun de leurs grains de sable

je vis à Inverness
une femme que je n'oublierai pas

je vis la violente chevelure,
le corps altier

je vis un cancer à la poitrine

je vis un cercle de terre desséchée sur un trottoir, là où auparavant il y avait eu un arbre

je vis dans une villa d'Adrogué
un exemplaire de la première version anglaise de Pline, celle de Philémon Holland  

je vis en même temps
chaque lettre de chaque page
(enfant, je m'étonnai que les lettres d'un volume fermé ne se mélangent pas et ne se perdent pas au cours de la nuit)

je vis la nuit et le jour contemporain,
un couchant àQuérétaro qui semblait refléter la couleur d'une rose àBengale
ma chambre àcoucher sans personne

je vis dans un cabinet de Alkmaar un globe terrestre entre deux miroirs qui le multiplient indéfiniment

je vis des chevaux aux crins denses, sur une plage de la mer Caspienne à
l'aube la délicate ossature d'une main
les survivants d'une bataille envoyant des cartes postales  

je vis dans une devanture de Mirzapur un jeu de cartes espagnol  

je vis les ombres obliques de quelques fougères sur le sol d'une serre
des tigres, des pistons, des bisons
des foules et des armées  

je vis toutes les fourmis qu'il y a sur la terre
un astrolabe persan  

je vis dans un miroir du bureau (et l'écriture me fit trembler) des lettres obscènes, incroyables précises, que Beatriz avait adressées à Carlos Argentino

je vis un monument adoré à Chacarita
les restes atroces de ce qui délicieusement avait été Beatriz Viterbo
la circulation de mon sang obscur
l'engrenage de l'amour et la transformation de la mort  

je vis l'Aleph, sous tous ses angles

je vis sur l'Aleph la terre et sur la terre de nouveau l'Aleph et sur l'Aleph la terre

je vis mon visage et mes viscères

je vis ton visage

j'eus le vertige et je pleurai, car mes yeux avaient vu cet objet secret et conjectural, dont les hommes usurpent le nom, mais qu'aucun homme n'a regardé : l'inconcevable univers…  »