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Under the Pink

      De DUNE  
JODOROWSKY
à  l' INCAL

(I)   
 



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" Montrer le processus d'illumination d'un héros, ensuite d'un peuple, ensuite de toute une planète (qui à son tour est le Messie de l'Univers puisqu'en abandonnant son orbite, planète sainte, elle part inséminer de sa lumière toutes les galaxies)...

Je ne voulais pas respecter le roman, je voulais le recréer. Pour moi Dune n'appartenait pas à Herbert ainsi que Don Quijote n'appartenait pas à Cervantes, ni Edipo à Esquilo.

Il y a un artiste, un seul au milieu de millions d'autres artistes, qui une seule fois dans sa vie, par une espèce de grâce divine, reçoit un thème immortel, un MYTHE... Je dis « reçoit » et non « crée » parce que les oeuvres d'art son reçues dans un état de médiumnité directement de l'inconscient collectif. L'oeuvre dépasse l'artiste et en quelque sorte, elle le tue parce que l'humanité, en recevant l'impact du Mythe, a un besoin profond d'effacer l'individu qui l'a reçu et transmis : sa personnalité individuelle gêne, tache la pureté du message qui, à sa base, demande à être anonyme... Nous ne savons pas qui a créé la cathédrale Notre-Dame, ni le calendrier solaire aztèque, ni le tarot de Marseille, ni le mythe de Don Juan, etc.

On ressent que Cervantes a donné SA version du Quijote - bien sûr incomplète - et que nous portons dans l'âme le personnage total... Le Christ n'appartient pas à Marc, ni à Luc, ni à Mathieu, ni à Jean... Il y a bien d'autres évangiles dits apocryphes et il y a autant de vie de Christ qu'il y a de croyants. Chacun de nous à son histoire de Dune , sa Jessica, son Paul... Je me sentais en admiration fervente envers Herbert et à la fois en conflit (je pense que la même chose lui est arrivée)... Il me gênait... Je ne le voulais pas comme conseiller technique... J'ai fait tout pour l'éloigner du projet... J'avais reçu une version de Dune et je voulais la transmettre : le Mythe devait abandonner la forme littéraire et devenir Image...

Dans le film, le Duc Leto (père de Paul) serait un homme châtré dans un combat rituel dans les arènes pendant une corrida de toros (L'emblème de la maison Atréide étant un taureau sacré...) Jessica - nonne du Bene Gesserit -, envoyée comme concubine chez le duc pour créer une fille qui serait la mère d'un Messie, devient tellement amoureuse de Leto qu'elle décide de sauter un maillon de la chaîne et de créer un fils, le Kwisatz Haderach, le sauveur. En utilisant ses pouvoirs de Bene Gesserit - une fois que le duc, amoureux fou d'elle, lui confie son triste secret - Jessica se fait inséminer par une goutte de sang de cet homme stérile... La caméra suivait (dans le script) la goutte rouge par les ovaires de la femme et assistait à sa rencontre avec l'ovule où, par une explosion miraculeuse, elle l'inséminait. Paul était né d'une vierge ; et non du sperme de son père mais de son sang...

Dans ma version de Dune , l'Empereur de la galaxie est fou. Il vit sur une planète artificielle d'or, dans un palais d'or construit selon les non-lois d'une anti-logique. Il vit en symbiose avec un robot identique à lui. La ressemblence est si parfaite que les citoyens ne savent jamais s'ils sont en face de l'homme ou de la machine...
Dans ma version, l'épice est une drogue bleue à consistance spongieuse remplie d'une vie végétale-animale douée de conscience, le plus haut niveau de conscience. Elle n'arrête pas de prendre toutes sortes de formes, en remuant sans cesse. L'épice produit continuellement la création des innombrables univers.

Le Baron Harkonnen est un homme immense de 300 kilogrammes. Il est tellement gras et lourd que, pour se déplacer, il doit faire usage continuellement de bulles antigravitationnelles attachées à ses extrémités... Son délire de grandeur n'a pas de limites : il vit dans un palais construit comme un portrait de lui-même... Cette sculpture immense se dresse sur une planète sordide et marécageuse... Pour entrer dans le palais, on doit attendre que le colosse ouvre la bouche et tire une langue d'acier (piste d'atterrissage...).

A la fin du film, l'épouse du Comte Fenring bondit vers Paul, déjà devenu Fremen, et elle lui tranche la gorge. Paul en mourrant dit : « Trop tard, on ne peut me tuer... parce que...
- Parce que, continue Jessica avec la voix de Paul, pour tuer le Kwisatz Haderach, il faudrait me tuer aussi... » Et chaque Fremen, chaque Atréides parle maintenant avec la voix de Paul : « Je suis l'homme collectif. Celui qui montre le chemin. »

La réalité se transforme rapidement. Trois colonnes de lumière jaillissent de la planète. Elles se mêlent. S'enfoncent dans le sable de la planète : « Je suis la Terre qui attend la semence ! » L'épice se dessèche. Le sol tremble. Des gouttes d'eau forment un pilier entouré de feu.
Des filaments d'argent surgissent de l'épice. Créent un arc-en-ciel. Ils se fondent en un nuage d'eau, produisent une « lave » rouge. Puis de la vapeur. Des nuages. De la pluie. Des rivières. De l'herbe. Des forêts. Dune devient verte. Un anneau bleu entoure maintenant la planète. Il se partage. Il produit de plus en plus d'anneaux. Dune est à présent un monde illuminé qui traverse la galaxie, qui la quitte, qui donne sa lumière - qui est Conscience - à tout l'univers.

Pour concevoir cette séquence finale de transmutation de la matière, j'ai eu la chance d'entrer en contact avec de vrais alchimistes... Des êtres mystérieux (l'un d'eux semblait avoir plus d'une centaine d'années, âge avancé qui lui permettait cependant de se déplacer avec une énergie de jeune adolescent) qui se sont approchés de moi parce que Dune pouvait être une pierre philosophale, la pierre qui change en or tous les autres métaux... Dans cette séquence, ils ont décrit ce qui se passe réellement quand ils arrivent à transformer, dans ces fours alchimiques, la matière...

Pour la guerre de « guérilla » que Paul et les Fremen mènent contre l'armée impériale, j'avais eu la chance de contacter un expert de la guérilla en Amérique du Sud... Il avait lutté en Bolivie, Chili, Pérou et Centre-Amérique... Ses indications précieuses ont apporté au scénario une réalité martiale...

Quand Jessica devient Mère suprême des Fremen et doit passer par des cérémonies d'initiation, apprendre la médecine des sorciers et contacter d'autres dimensions de la réalité, je connaissais la médecine magique des gitans à travers Paul Derlon, déjà décédé... Et le cérémonial des champignons hallucinogènes et les opérations miraculeuses par la sorcière Pachita, un être qui avait bien plus de pouvoirs que les soi-disants chirurgiens philippins.

Mon fils Brontis, qui devait jouer Paul, a été initié dès l'âge de neuf ans par un garde du corps légendaire - Jean-Pierre Vigneau - au combat au couteau (des vrais combats), au karaté, à l'art du tir à l'arc... Il a reçu des leçons d'un presque vrai mentat - Michel de Roisin - qui possédait un cerveau encyclopédique... Je me rappelle l'avoir vu donner à Brontis une leçon sur la fable La Cigale et La Fourmi qui a duré plus de quinze jours... A travers les vers, il a décrit toute une époque et ses civilisations.

Avec la production, on a traversé le Sahara. Je voulais filmer Dune dans le Tassili, en bravant avec les acteurs, les milliers de figurants et les équipes techniques, les chaleurs torrides et la sécheresse pour obtenir de véritables paysages lunaires... Le gouvernement algérien était très intéressé par le projet...

Une fois, la Divinité a bien voulu me dire dans un rêve lucide : « Ton prochain film doit être Dune . » Je n'avais pas lu le roman. Je me suis levé à six heures du matin et comme un alcoolique qui attend l'ouverture du bar, j'attendis qu'on ouvre la librairie pour acheter le livre. Je le lus d'un trait sans m'arrêter pour boire ou manger. A minuit juste, le jour même, je finis la lecture. A minuit une minute j'appelais de New York Michel Seydoux à Paris... Il serait le premier des sept samouraïs qu'il me fallait pour l'immense projet. Michel était pour moi un jeune homme (26 ans) sans expérience dans le cinéma mais sa société Camera One avait acheté les droits de La Montagne Sacrée , mon dernier film et l'avait très bien distribué... Il m'avait dit : « Je voudrai produire un film avec toi » . Je ne connaissais pas grand chose de lui mais par une intuition qui aujourd'hui me surprend, en le voyant, malgré sa jeunesse, je vis en lui le plus grand producteur de l'époque... Pourquoi ? Mystère... Et je ne me suis pas trompé. Quand je lui dis que je voulais qu'il achète les droits de Dune et que le film devrait être international parce qu'il dépasserait les dix millions de dollars (somme fabuleuse pour l'époque : même Hollywood ne croyait pas aux films de science-fiction, 2001 serait unique et indépassable), il n'a pas bronché : « D'accord. On se retrouve dans deux jours à Los Angeles pour acheter les droits » . Il n'avait pas lu le livre... Je pense qu'il ne l'a pas encore lu parce que la prose d'Herbert l'embêtait... Et on a pu acheter les droits - facilement parce que Hollywood trouvait le livre irréalisable à l'écran et non commercial... Michel Seydoux m'a donné carte blanche et un énorme appui financier : je pouvais créer mon équipe sans problème économique.

Il me fallait un script précis... Je voulais réaliser le film sur le papier avant de le tourner... Maintenant tous les films à effets spéciaux se font comme ça mais à l'époque cette technique n'était pas utilisée. Je voulais un dessinateur de bandes dessinées qui ait le génie et la vitesse, qui puisse me servir de caméra et qui donne en même temps un style visuel... Je me suis trouvé par hasard avec mon deuxième guerrier : Jean Giraud alias Mœbius (à l'époque il n'avait pas fait Arzach ni Le Garage Hermétique ). Je lui dis : « Si tu acceptes ce travail, tu dois tout abandonner et partir demain avec moi à Los Angeles pour parler avec Douglas Trumbull ( 2001 : Odyssée de l'Espace ) » . Mœbius m'a demandé quelques heures de réflexion. Le lendemain, nous partions pour les États-Unis. Ce serait trop long à raconter... Notre collaboration, nos rencontres en Amérique avec d'étranges illuminés et nos conversations à sept heures du matin dans le petit café qui était en bas de nos ateliers et qui par « hasard » s'appelait Café l'Univers . Gir a fait 3000 dessins, tous merveilleux... Le script de Dune , grâce à son talent, est un chef-d'oeuvre. On peut voir vivre les personnages, on suit les mouvements de caméra. On visualise le découpage, les décors, les costumes... Tout ça avec, à chaque fois, quelques traits de crayon... J'étais derrière ses épaules en lui demandant les différents points de vue... En mettant en scène les « acteurs » , etc. On a filmé...

Pour le troisième guerrier j'avais besoin d'un ingénieux rêveur qui puisse dessiner les navires spatiaux d'une autre façon que celle des films américains :
« Je ne veux pas que l'homme conquiert l'espace
Dans les navires de la NASA
Ces camps de concentration de l'esprit
Ces congélateurs gigantesques vomissant l'impérialisme
Ces tueries de pillage et de rapine
Cette arrogance d'airain et de soif
Cette science eunuque
Bave de crapaud n'effleurant qu'à peine
Le divin
Le délirant
Le superbe
CHAOS
UNIVERSEL
Je veux des entités magiques, des véhicules vibrants
Pour prolonger l'être de l'abîme
Comme les poissons d'un océan intemporel. Je veux
Des bijoux, des mécaniques aussi parfaite que l'âme
Des ventres-navires antichambres
De la renaissance pour d'autres dimensions
Je veux des navettes courtisanes mues
Par le sperme d'éjaculations passionnées
Dans un moteur de chair
Je veux des fusées complexes et secrètes,
Des navires-oiseaux,
Butinant le nectar millénaire des étoiles naines...
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