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Under the Pink

JOURNAL DE BORD NOVEMBRE 2010

 



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  Au fil des années, une chose m’effraie, une chose qui pourtant me paraissait stimulante et était pour moi signe de maturité auparavant : je veux parler de l’érosion des sentiments, de la glaciation des émotions (comme l’a décrite poétiquement John Cale dans la musique  Antarctica starts here – dieu, quel titre! ).

  Suis-je seul à constater ainsi que quelque chose ou quelqu’un qu’on a aimée à en crever puisse finalement du jour au lendemain laisser qu’une vague sensation, plaisante, mais sans  donner plus envie de s’y replonger. L’érosion, la glaciation frappent là, et toujours sur les choses qui pourtant paraissaient émotionnellement immuables, éternelles.


 Pour ne pas parler de choses trop personnelles et ne pas désigner de personnes, parlons littérature et musique (et hop, bien éludé!),  car je pourrai reporter l’exercice au goût et aux émotions littéraires et musicales. Giraudoux me paraît l’exemple le plus frappant (aïe). Voilà un dramaturge que j’ai adoré, dont j’ai dévoré la pléiade fin lycée (d’ailleurs c’est le seul écrivain que j’ai lu en pleïade, avec Ibsen..). J’ai lu et relu jusqu’à plus soif Ondine (*gag*), Electre ou autre Intermezzo. Son influence sur moi était telle que je me mettais à essayer d’écrire comme Giraudoux, car sa manière de faire parler les gens me semblait belle, me paraissait hisser les hommes au-dessus du langage ordinaire. Je rêvais de voir des adaptations fidèles à cet auteur, fidèles à son texte (aujourd’hui je déplore encore qu’il n’y ait eu aucune production télévisuelle qui ait tenté un cycle de téléfilms sur Giraudoux comme il a été fait pour Maupassant ou Balzac..). Et pourtant, de cette passion, qu’en reste-il aujourd’hui ? eh bien pas grand chose ou très peu..


Relire Giraudoux aujourd’hui n’est certes pas une expérience pénible (je l’ai trop aimé pour me réduire à cette pensée), mais quelque chose me gène : je le trouve souvent un peu boursouflé dans son écriture (il me renvoie d’ailleurs la redondance dans mes écrits :) ), et souvent pour peu de chose : un thème à faible intérêt, une psychologie de personnage pas très intéressante… Les pièces de Giraudoux ont donc connu chez moi cette érosion de sentiments dont je parlais, une érosion gigantesque en fait, qui ne semble rien avoir laissé de l’émoi d’origine (peut-être me reste-il une petite tendresse pour La Guerre de Troie..  mais toutes les œuvres romantiques, les Ondine et compagnie, me paraissent aujourd’hui si vaines …).
  Pour le coup, on peut trouver la cause auprès de l’évolution des goûts littéraires, car depuis cette mono-manie giralducienne, je ne me suis pas non plus cantonné à attendre les adaptations téléfilmiques du dramaturge limousin : j’ai lu des pièces, découvert d’autres auteurs qui ont -je pense- participé à l’affadissement des auteurs lus avant eux. En tête, Ibsen (Eyolf, Solness, et surtout Peer Gynt ma pièce préférée) qui par ses œuvres psychologiques, ne laissait aucune chance au pauvre Giraudoux et à la faible description psychologique et sociale de ses ‘gracieux’ personnages. Ensuite, il y a Musset, bien sûr, le grrrand Musset, qui aura définitivement fait oublier le romantisme « à la Giraudoux », car là où ce dernier tentait dans un pavé de deux pages de forcer l’émoi du lecteur/spectateur, Musset lui, atteignait  en quelques mots ce but et bien plus encore (les frissons, cette sensation de prendre au tripe et de se dire qu’une phrase peut rendre amoureux). Sans citer des mastodontes tels qu’Ibsen ou Musset, j’aurais pu aussi référer à Bernard Shaw, plus plaisant que puissant mais qui lui aussi, après lecture complète de son œuvre, a fini de marquer la désuétude de l’œuvre de Bernard Giraudoux (même son prénom fait ringard d’ailleurs, alors qu'accolé Shaw, il sonne tout de suite plus classe! c'est dire si je parle en toute objectivité.. :) ).
  En somme, l’érosion n’a pas ici été que l’action du temps et de l’oubli naturel: ça a été aussi affaire de tromperies et du fait que d’autres auteurs ont été rencontrés depuis (il en va de même pour l’amour, après tout.. )

Voilà, le long exemple de Giraudoux a exposé une sensation que je déplore, l’oubli de la force des sentiments, et se dire que chaque chose est vouée à ainsi rouiller ne me réjouit pas trop pour l’Avenir. Me dire pour rester dans cette image littéraire qu’un jour je pourrais trouver Musset ou Ibsen fades ne me rassure pas. Existe-il en effet des sentiments éternels qui restent inextinctibles ? Pour l’instant je n’en connais aucun sur le long terme… Musicalement je pense par exemple à Andrew Bird, un chanteur que j’ai adoré sur ses deux premiers albums, mais qui, aujorud’hui, en les réécoutant ne me provoquent pas plus qu’une vague sensation pop agréable. Diantre… Et là je ne parle pas d’une érosion sur plus d’une dizaine d’année comme pour Giraudoux, mais d’une érosion sur à peine cinq ans…


Et pourtant, l’acte d’aimer, de vivre avec la même femme toute sa vie, n’est rien de plus que de croire au Sentiment Eternel, à sa non-érosion. Certains en couple vont assurer démagogiquement que les sentiments changent au fil des années, que la passion originelle ne peut durer et que vivre toute sa vie avec la même personne oblige à changer la nature (la raison) de son amour. Comment se contenter d’une telle définition, que je trouve autant désabusée que lâche ? En comparaison, je ne peux me résoudre à aimer pour la vie une femme en me disant qu’un jour elle me provoquera le même effet que la littérature de Giraudoux : c’est-à-dire adoré dans le passé, et plus qu’une vague sensation plaisante dans le présent. Il faut donc chercher de vraies flammes qui résisteront au temps, de vrais foyers sismiques émotionnels, qui feront que le souvenir de l’étincelle amoureuse originelle (oui je sais je m’enflamme mais c’est écrit en un seul jet, et de bon matin) reste le même au fil des années… En relisant dernièrement Il ne faut jurer de rien de Musset, j’ai pensé sans trop exagérer que ma passion pour la littérature de Musset restera aussi forte à mon dernier jour. C’est naïf et idéaliste, mais j’ai envie d’étendre cette sensation à l’acte d’aimer, ainsi qu' à toutes les formes d’émotions.


Donc l’Antarctique ne commencera pas forcément ici. Non, peut-être que la glaciation, la rouille resteront toujours à distance tant qu'on peut rester fidèle à ce credo : « Better to burn out, than it is to rust », une phrase dite par un autre poète non choisi au hasard. Neil Young, un canadien qui continue à sortir des albums depuis 40 ans, albums pour lesquels les sentiments restent toujours aussi intenses qu'à la première écoute, qu'à la première fois. Un contre-exemple à l'érosion, à ne jamais oublier …

PS : je réécoute en ce moment-même Weather System, premier album d’Andrew Bird, et une lueur d’espoir.. je retrouve des vagues sensations qui m’on fait aimé cet album, des souvenirs assi lié à la période.. ça me rassure car je me dis aussi rien n’est forcément  inéluctable..