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Under the Pink

JOURNAL DE BORD AVRIL 2012

 



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    Mes amis, je suis suffisamment agé pour prétendre avoir connu de bien belles choses dans ma vie… Néanmoins je ne vais vous en raconter que quelques unes, et juste en lien avec le ciné (oui, pour la grivoiserie épistolaire, il faudra repasser.. ou me contacter en MP !).
    Par exemple, j’ai connu l’âge de la VHS. Terrible non ? ces briques noires magnétiques à durée de vie plus que limitée, qui permettait moyennant une p’tite vingtaine d’entre elles de remplir une armoire qui faisait la largeur de votre living room et ainsi de faire croire à une cinéphilie pointue (alors qu'aujourd'hui, on achète le DVD par douzaine à la FNAC dans l'anonymat le plus complet...)
  J’ai aussi vécu le phénomène Titanic, dans les années 90, en plein cœur de la vague: les longs mois d’exploitation, l'engouement devenant planétaire. 
 Voilà, je sais que vous trouvez ces deux anecdotes suffisamment énormes pour conclure mon article, mais bon poursuivons.

    Donc la VHS… oui, je me rappelle notamment d’une cassette, une des rares commerciales qui trônaient dans la vidéothèque de mes parents. Il s’agissait de Gatsby le magnifique (ma mère étant une fan de Redford comme beaucoup de femmes de son âge  : ce n’est pas sa faute, c’est générationnel… et puis  aussi la tendance de l’acteur à jouer les loosers ou à mourir en fin de film… pas con, le Robert !). Cette cassette donc, était toute jolie dans sa jaquette plastifiée, la photo de Faye Dunaway jeune (au côté de Bob), et le tout surmonté d’une étiquette style « Edition de luxe : les classique d’Hollywood ».
Classique donc, Gatsby. Pourquoi pas ? C’est une adaptation du plus célèbre roman de Fitzgerald, donc le matériau est bon, il y a deux stars en affiche, un réalisateur assez connu,  donc classique oui, sans doute, comment peut-on en être  vraiment sûr ? Y a-t-il un moyen infaillible de classifier un film au rang de classique ? Une formule arithmétique (basé sur la datation et le nombre d’entrée) ? Un comité secret qui donnerait cette notation à l’ensemble des films qui sortent en salle?  Ou bien est-ce juste une question de bon sens : personne ne pourra nier l’appelation de classique pour la trilogie du Parain, ou pour la Dolce Vita par exemple... Mais bon, pour la grande majorité des films, la question ne demeure-t-elle pas insoluble ?

    C’est un peu la réflexion que je me fais concernant la ressortie en 3D de Titanic de James Cameron (vous voyez comme je boucle avec mon intro, c’est classe non?) : tous les magazines ou presque qualifient aujourd’hui l’œuvre de classique. Bon je ne dis pas par là que ces sympathiques critiques ont retourné leur veste. Pratiquement tous d’ailleurs ont salué à l’époque l’efficacité des 4h de blockbuster du réalisateur canadien : car ce dernier a atteint sa double ambition, aussi bien technologique (le film catastrophe rendu possible par plus d’un milliards de dollars) que scénaristique (l’histoire d’amour sur fond de lutte de classe –certes un peu binaire, comme la technologie usé derrière). Mais peu ont osé parlé à l’époque véritablement de ‘classique’ : il y a eu juste quelques comparaisons ici et là à d’autres grands films provenant d’âges d’or révolus (Cléopatre pour la démesure) mais c’était là des positions critiques isolées au milieu du fatras et du phénomène médiatique qu’était Titanic à l’époque, le film que toute une génération se plaisait à voir et à revoir au cinéma au point de lancer un concours de plus grand nombre de visionnage. En tout cas, aujourd’hui, toute la presse est au diapason : Titanic est un classique, peut-être même le dernier des années 90… Carrément... Et les arguments avancées derrière, le contexte laisse voir qu'il y a eu deux mécanismes qui ont permis l'intronisation de Titanic dans le sacro-saint cercle des classiques:

    Tout d’abord il y a l’attribution au rang de classique par ‘commodité critique’. Je m’explique.  Plusieurs magazines critiques avaient déjà décrété Titanic comme étant un classique durant la sortie du précédent film de Cameron, Avatar. Car ce dernier  a beau avoir été le plus grand succès de l’histoire du cinéma, il en reste que la presse a été, elle, bien divisée, laissée perplexe face à ce film (aucun intérêt en termes cinéma traditionnels, mais parallèlement à ça trop unique pour pouvoir être complètement rejeté..). Les critiques se sont alors réfugiés dans leur argumentation favorite : la comparaison. En confrontant un Titanic devenu ‘classique’ à un Avatar fraîchement découvert, c’est forcément aller dans le sens du spectateur, celui-là même qui aura aimé et grandi avec Titanic. C’est la règle de la critique nostalgique, du « c’était mieux avant », pas forcément de mauvaise foi, mais qui n’a pas la mémoire suffisante, le bon recul pour bien renforcer sa position. Avatar alors qualifié de phénomène provisoire en comparaison au classique Titanic, alors que c’était Titanic jadis le phénomène provisoire (en comparaison aux précédents classiques de Cameron, Abysss sûrement). On peut d’ailleurs noté un fait amusant : le fait que Titanic 3D permet par son inutile ‘3D’ (c’est en tout cas l’avis général des critiques et du public) de presque faire passer Avatar au rang de classique à son tour, par son côté ‘visionnaire’ (sur la 3D)… Comme quoi la mécanique d’attribution  au rang de classique par comparaison directe et nostalgique a encore de beau jour devant elle..

    Ensuite, il y a une attribution au rang de classique, plus intéressante car plus solide. Elle ne se réfère pas uniquement au bon vouloir de la critique qui compare des œuvres une à une, mais dépend cette fois-ci de nous, spectateurs, de notre contexte direct. Car Titanic serait devenu ‘classique’ aussi pour un autre fait, la résonnance que l’œuvre aurait sur notre société aujourd’hui. Titanic est sorti dans une époque assez insouciante sur bien des points (rien de comparable toutefois avec l’insouciance d’avant fin 70, dégradé par les années Sida et chômage...), car c’était une période qui n’a pas connu les deux traumatismes les plus persistants de la dernière décennie : la crise  mais surtout 2001 (je ne parle pas de l’odyssée..). Quand on voyait un film catastrophe dans les années 90, c’était plus pour s’amuser à voir des effets spéciaux auxquels on commençait à s'habituer. Certes on pouvait nous y parler de catastrophes climatiques,  de catastrophes engendrés par l’homme, mais le spectateur était rarement jugé, ou impliquer directement dans le film qui lui était présenté. C’était du pur cinéma. De la même manière, Titanic n’avait aucune résonnance avec nous à l’époque. Pas d’empathie pour tous ces noyés, à part pour Rose et Jack et leur histoire d’amour.  Le propos social, sur la lutte entre classes (pauvres contre riches) paraît d’ailleurs bien stéréotypé aujourd’hui (mais c’est souvent le cas pour les films hollywoodiens de l'époque 80, 90). Aujourd’hui, le fantôme du 11 septembre, rélayé par les nouvelles séries, de 24 à Treme (car ce sont elles qui ont le mieux saisies les problèmes et les trauma de la société américaine) a fait de nous des consommateurs exigeants, souvent incrédules mais en tout cas jamais innocents. La catastrophe du Titanic selon Cameron, vue  aujourd’hui, avec cette scène de corps qui tombent du bateau rappelle les images des corps qui tombent des tours jumelles, les charniers de gens noyés rappellent ceux que nous avons vu au suite du tsunami ou de la catastrophe naturello-nucléaire du Japon (je ne parlerai même pas de la comparaison directe avec le récent drame du Concordia …).

  Borgès nous racontait dans une de ses nouvelles de son recueil Fiction (un vrai classique d'ailleurs) l’histoire de Ménard, un auteur qui a passé sa vie à essayer de réécrire un autre classique : Don Quichotte. Jusqu’à y arriver, mot pour mot.  La conclusion de cette nouvelle vertigineuse était que l’œuvre de Ménard restait malgré tout totalement dissemblable de l’original de Cervantès, et ce même si elle était la même en toute lettre : parce que les mots de Cervantès se référaient à des aspirations personnelles et une connaissance propre au XVIIe siècle, tandis que ceux de Ménard étaient le fruit d’un écrivain moderne du début XXe, avec une toute autre histoire personnelle et un contexte bien différent. Pis encore, la deuxième conclusion de l'auteur argentin était que la version du copiste Ménard était même supérieure à l’original car les mots y étaient enrichies de plus d'histoire(s)... Borgès nous invite alors malicieusement à considérer les œuvres autrement, à imaginer l’Odyssée d’Homère comme postérieur à l’Enéide de Virgile, ou à imaginer une œuvre anonyme chrétienne du XIVe comme étant de Céline. Il nous pousse à la technique de « l’anachronisme délibéré » et des « attributions erronées » et ce pour provoquer une démultiplication des classiques, jusqu’à l’infini...
Titanic peut ainsi être imaginé comme une œuvre actuelle et plus récente qu’Avatar, un film en résultante de notre société.  Et une émotion plus forte peut ainsi naître, qui dépasse l’histoire de Kate et Leo sur fond de Céline Dion. Il y a un malaise possible, quelque chose de proche de notre état d’esprit ambiant, pleine d’austérité et de résignation (le fatalisme de l’Histoire du Titanic, après tout). Et c’est cela qui peut peut-être en faire un classique, selon l’exercice borgèsien appliqué  au film et à notre époque. Cependant…


    Si le contexte peut finalement révéler un classique (Titanic apparemment), il faut aussi que la vision de l’auteur, son ambition initial puisse s’y préter. Et c’est là que j’ai peut-être un peu plus de doute. Cameron est un homme très ambitieux, un Fitzcaraldo qui a finalement peu connu l’échec. Sa vie est passionnante: ce qu’il a entrepris pour monter ses deux derniers films pharaoniques, ses ambitions sous-marines qui le poussent à battre le record de plongée sous-marine, et ce pour réaliser le prochain Avatar, dans les plus profonds fonds marins; ses réalisations toujours efficace: Terminator 2 est une perfection dans le genre. Cependant, si je devais imaginer ce qu’il projetait autour de Titanic, ce n’est pas certainement la vision qu’on en a aujourd’hui, la crise et l’austérité ‘aidant’. Cameron n’est pas une pythie : Terminator n’a rien d’un film d’anticipation à la Orwell (c’est un film de SF, solide, bien écrit,  avec une très bonne astuce scénaristique, suffisante pour bâtir une Mythologie), et même le très soutenu Abyss ne dépasse pas le stade poétique, pour faire par exemple réfléchir à cette rencontre avec l’autre, ou avec l’au-delà (comme aurait su faire un Spielberg en forme..). Titanic (tout comme Avatar) a une seule vision dominante : celle de dompter la technologie, de la faire se plier aux images les plus dingues. Mais quant au propos, ou à la portée qu’ils auraient (sur nous, sur notre futur), c’est chez d’autres qu’il faut regarder.

   Prenons Paul Verhoeven par exemple, contemporain de James Cameron et tout comme lui exilé aux Etats-Unis, à Hollywood, pour produire des films d’actions violents et futuristes à la pelle. Voir Robocop aujourd’hui est une expérience aussi troublante que regarder Titanic. Le film d’action a certes moins bien vieilli, mais il n’en demeure pas moins que la  noirceur, la violence, et la critique sur l’hégémonie d’un état policier rendent le film beaucoup plus dérangeant aujourd’hui que dans les années 90 (à l’époque, seule la violence de l’image était effrayante).  Chez Verhoeven,  il y a un propos, une ambition politique bien plus importante que celle de Cameron.
  Verhoeven est un originaire des Pays Bas. Ses premiers films cherchaient à fustiger l’hypocrisie des classes bourgeoises européennes, par un radicalisme proche de Ferreri ou de Pasolini  (la critique sociale dans les scènes scabreuses franchement crades de Turkisch Delight est à des années lumières des dénonciations bon enfants de Titanic)… Après, on peut juger la forme vulgaire et racoleuse, certains la disent complaisante et fasciste (la satire Starship Troopers n’a pas aidé..) : il n’en reste pas moins que parmi les grands réalisateurs des années 90, Verhoeven reste  celui qui a été le plus visionnaire quant à notre société actuelle. Basic Instinct dans un autre genre, au-delà de tout le côté érotique et du phénomène Sharon Stone, est un des films qui dénoncent le mieux les rapports de force dans notre société libérale d’aujourd’hui… Tout n’est que simagrées, jeux de domination glaciaux, où les rapports hiérarchiques, le réfoulé entre classe, sexe, et profession se confondent jusqu’à nous conférer le dégoût le plus nihiliste… Ce film est aujourd’hui un vrai classique, un film qui laisse plus à comprendre, à lire que le trop démonstratif Swimming with Sharks qui oeuvre dans la même catégorie... Il est plus à ranger au même rang que Mad Men aujourd'hui (les séries, toujours..), ou bien que Brazil de Terry Gilliam, toutes ces oeuvres qui dénoncent une réalité sociétale, mais dans un style différent...

    En bref, la qualification de classique pour Titanic me gène toujours un petit peu, car l’ambition de Cameron ne me paraît pas convenir à ce qu’on voudrait lire de ce film aujourd’hui. Brillant, culte, il va de soi, mais néanmoins ce film catastrophe est aujourd’hui un peu trop surestimé car ce qu’on lui confère dépasse l’auteur même.

    C’est une toute autre histoire si on parle par exemple d’une œuvre que j’ai redécouvert dernièrement, Akira de Katsuhiro Otomo…   J’avais lu la BD (version noir et blanc, en 6 tomes) fin des années 90, dans la même période que Titanic je pense, et elle m’avait beaucoup plu (l’animé, trop reducteur dans son heure et demi, m’a par contre bien déçu..).  J’ai eu le courage il y a un ou 2 mois de me replonger dans ces 6 pavés (faisant près de 200 pages chacun, soit plus de mille pages au total ), et, très étonnamment, même si les personnages me paraissent toujours peu intéressants (hormis Testuo, Akira est un défilé de têtes à claque, comme c'est souvent le cas dans les mangas style shōnen…), l’histoire et les images m’ont beaucoup plus ému qu’à l’époque. Encore une fois, avec les attentats du 11 septembre et la crise non digérée, on ne peut que se projeter dans ces images de Tokyo dévasté, de société sans repères et sans maître, de destruction massives,  d'eugénisme ou de tissus organisationnelles terroristes complexes (au point qu’on ne sait plus qui est l’ennemi, ce qui est un fait extrêmement rare dans un manga). C’est donc là aussi une œuvre visionnaire, sans l'ombre d'un doute. Otomo a déclaré que c’était la vision d’Hiroshima qui a bien évidemment inspiré ses images. Il n’empêche que sa volonté de vouloir mettre en projection ces images dans un futur (Tokyo en 2019) qu’il a créé de toute pièce lui ont permis de taper juste. Il est beaucoup plus une pythie que Cameron, et se rapproche de la pertinence des artistes politiques et populaires tels que Vehoeven (ou Cronenberg..).
Pour cela qu’Akira mérite dans mon humble jugement un statut de classique bien  plus que Titanic (et c'était juste à cette drôle de conclusion que je voulais arriver)... Et cela est amusant de me dire de Di Caprio a été retenu pour le rôle de Testuo dans la future adaptation d’Akira (oui oui, Holywood ne pouvait pas laisser passer un tel joyau)… Ah que de parcours entre un film qui l’aura révélé (Titanic) jusqu’à cette adaptation (Akira) qui pourra aujourd’hui se nourrir de l’Histoire de ces dix dernières années. Espérons que l’adaptation sera respectueuse et digne de l’originale… pour que peut-être le film devienne lui aussi un classique… Par commodité critique, ou par résonnance avec les temps futurs… 


    Je conclurai juste une énième fois en citant les phrases (d'une modernité troublante) du Borgès auquel je fais référence plus haut, et qui me font beaucoup penser à Titanic et sa médiatisation récente  (puisque que c’est par eux que j’ai commencé cet article):
      «Le Quichote – m’a dit Ménard- fut avant tout une oeuvre agréable. Maintenant il est prétexte à toasts patriotiques […] à éditions de luxe indécentes. La gloire est une incompréhension, peut-être la pire.»